En juin 2015, alors que beaucoup le croyaient enseveli, le spectre du massacre de «Perejil» s’est imposeÌ de lui-meÌ‚me dans le deÌbat public en Haïti comme ailleurs. En effet, la n du Plan National de ReÌgularisation des EÌtrangers en ReÌpublique dominicaine et l’antihaïtianisme qui a entoureÌ sa mise en œuvre a deÌcomplexeÌ une certaine parole. Les allusions aÌ€ une eÌventuelle solution finale et au geÌnocide de 1937 ont choqueÌ moult Haïtiens et Dominicains. « ... le passeÌ ne s’efface pas du simple fait qu’on n’en parle pas », avait eÌcrit l’historienne Suzy Castor quant au besoin de parler des veÌ‚pres dominicaines. AÌ€ compter de cet instant, il eÌtait clair que plus de travaux devaient voir le jour sur la theÌmatique. Non pas pour deÌnoncer, mais pour suggeÌrer des prismes, d’autres prismes. Parce que le malaise pour eÌvoquer ce drame, meÌ‚me aÌ€ la veille de la commeÌmoration du quatre-vingtieÌ€me anniversaire du massacre, reste complet.
Comment montrer ce trop-plein de peur qui a eÌteÌ et deÌnoncer toute la coleÌ€re ab- surde qui en a eÌteÌ la cause ? Quelle photo pour saisir tous ces rires entrecoupeÌs du vide des siens ? Les milliers de vies briseÌes, voilaÌ€ huit deÌcennies, s’eÌteignent tous les jours avec un fardeau sur la langue. Notre silence plus longtemps gardeÌ ne fera pas naiÌ‚tre d’autres images. Celles-ci sont les noÌ‚tres. Les photographies n’ont pas vocation aÌ€ retranscrire des faits. Les bourreaux et le temps se sont chargeÌs de laver les traces du meÌfait. Avant que les souvenirs s’es- tompent, ce travail veut revenir sur les lieux et les visages des victimes. Il veut questionner leur trajectoire et leur veÌcu. Les relations haïtiano-dominicaines actuelles, les efforts de souvenir des uns comme des autres. Il eÌvoque, il donne une voix aux vivants, ceux-laÌ€ qu’aucune indemnisation ne saurait reÌparer. La concorde des deux peuples doit ineÌvitablement suivre cette voie. Rejoint par des partenaires et des contributeurs de part et d’autre de la frontieÌ€re, nous sommes heureux avec ce projet d’ajouter notre pierre aÌ€ l’eÌdifice de la meÌmoire.
Pierre Michel Jean
Photographe documentaire